Circuit mythique s'il en est un, le circuit de Reims-Gueux est l'un des plus légendaires. Témoin
des plus fabuleuses bagarres de mémoire de Grand Prix (et de courses d'endurance), tous les plus grands pilotes
s'y sont illustrés. Depuis le très grand Tazio Nuvolari, vainqueur du premier Grand Prix en 1932 jusqu'aux
dernières épreuves disputées en 1970, les compétitions ont toujours offert un spectacle
d'empoignades mémorables. En effet, avec ses longues lignes droites, le phénomène d'aspiration joue
un rôle prédominant et il n'était pas rare de voir trois voitures de front aborder le fameux virage
du Thillois !
La redoutable courbe du Calvaire, dénommée testing corner par les anglais, était le point
fort de ce circuit ; témoin de drames dont furent victimes plusieurs pilotes, comme Luigi Musso en 1958.
Imaginez un instant aborder cette courbe en aveugle, puisque placée après un dos d'âne, le pied au
plancher pour les pilotes les plus téméraires, et découvrir en une fraction de seconde cette courbe
si redoutée. Mais pendant les 12 heures, c'est la nuit noire qui guettait chaque pilote, après le
passage sous la passerelle Dunlop !
Créé en 1926 sous l'impulsion de Raymond Roche, dit « Toto » Roche,
tracé entre les villages de Geux, Muizon et le Thillois, il reçut souvent l'appellation enviable de
« triangle d'or du sport automobile mondial », et le restera pendant 40 ans. Son infrastructure a
toujours été à l'avant-garde :
- Chaque virage possédait une échappatoire et se trouvait doublé pour faciliter le retour
en piste.
- 85 stands destinés à recevoir les concurrents dans d'excellentes conditions
- Un monumental pavillon central, dressé au beau milieu des stands, accueillait la direction de course,
la presse avec central téléphonique, la police et les secours, avec un bar-restaurant de 400
couverts !
- Un gigantesque panneau de chronométrage pivotant de 180° indiquait aux spectateurs la position
des concurrents. Une échelle permettait d'accéder aux panneaux manipulés par un
préposé... avant l'informatique ! Pendant les 12 heures de Reims, toute cette zone recevait un
éclairage digne du circuit de Singapour !
La fascination qu'exerce cet ensemble, minuscule au milieu de ces étendues désolées n'a
pas d'égal. La lumière diffuse du soleil, omniprésent à cette période, ne fait que
renforcer l'émotion qui vous saisit.
L'association des « Amis du circuit de Gueux » a donc décidé de faire
revivre ces instants enivrants en réhabilitant ces édifices et en organisant la
2e manifestation du week-end de l'Excellence automobile de Reims, les 13 et 14 septembre dernier.
L'accueil des concurrents et de la presse au domaine Pommery fut excellent, merci à Franz Hummel et
à son service d'organisation : cela fera quelque peu oublier l'épreuve tout terrain des parkings du
samedi, sous une pluie persistante.
La Mercedes-Benz W 196 R, de Formule 1 injection directe, qui permit à Juan-Manuel Fangio de
conquérir deux titres de champion du monde en 1954 et 1955, fut incontestablement le clou de ce week-end ;
pilotée alternativement par Jean Alessi et Hans Hermann, coéquipier de Fangio en 1954 et recordman du tour
pendant le Grand Prix de l'ACF 1954. Notons au passage la gentillesse naturelle et le fair-play de ce champion de 77
ans.
Mais s'il devait y avoir un No 2, ce serait incontestablement la Simca Gordini 23 S de 1949
(devenue Gordini en 1952) de l'Irlandais Edward M. Guire. Son passé historique est l'un des plus fabuleux de
cet artisanconstructeur, avec celui de la monoplace que Jean Behra mena à la victoire ici même en 1952,
tétanisant la toute puissante écurie Ferrari.
Cette 23 S menait, à 3 heures du matin, le classement à la distance et à l'indice de
performance aux 24 heures du Mans 1952, avec un tour d'avance sur la Talbot-Lago de Levegh, et près de deux
tours sur la Mercedes-Benz des futurs vainqueurs Lang-Riess, avant que les freins avant ne lâchent !
C'est à son volant encore, qu'ici même, Robert Manzon s'envolait vers la victoire après
avoir réalisé la pôle position et le record du tour, quand la fusée de la roue avant gauche
se brise net au freinage du Thillois, la Gordini cisaillera un gigantesque poteau électrique. Par miracle, le
pilote a sauté juste avant le choc.
On constatait sur l'épave que la colonne de direction avait transpercé le dossier du
siège...
De nombreuses autres voitures s'étant illustrées ici même complétaient le plateau
parmi les quelles une Maserati 250F formule 1, de couleur verte, ayant couru avec Roy Salvadori à son volant; des
Jaguar type C et D, une Lister-Jaguar, de nombreuses Bugatti, AC Cobra, Ford Mustang sans oublier, bien entendu, les
Ferrari, dont la GTO qu'a piloté Lucien Bianchi.
Le samedi après-midi, une pluie persistante nous a offert le spectacle impressionnant des gerbes d'eau
soulevée par les voitures. Mais quel bonheur dimanche matin de voir apparaître les rayons
bénéfiques du soleil.
Edward M. Guire et sa Gordini se sont trouvés très entourés, lorsqu'ils se sont
présentés accompagnés d'une charmante coéquipière, arrivée, semble-t-il, tout
droit d'Hollywood...
Le bonheur qu'ils affichaient faisait plaisir à voir.
Leur passage à la chicane était particulièrement spectaculaire, ce qui ne semblait pas
déplaire à Colette ! (voir sur la photo)
L'après-midi, la patrouille de Ile-deFrance traversa la piste en laissant leur empreinte tricolore,
précédant le départ de Hans Hermann au volant de la prestigieuse Flèche d'argent, qui,
suivant l'usage dans le milieu de la course, « ne faisait pas dans la dentelle » ! Il avait
annoncé la couleur avant de partir.
La joie qu'il affichait en descendant de son bolide faisait plaisir à voir. Il venait de se faire un
énorme plaisir.
Bravo aux organisateurs et vivement la 3e édition de cette manifestation
mémorable.
Texte et photos : Pierre Chrétien
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