Pour la 3e année consécutive, le « miracle » s'est de
nouveau produit ; comme renaissant du passé, le décor est de nouveau planté : les stands
de ravitaillement dominés par le monumental pavillon central exhibant ses publicités d'époque, le
majestueux panneau d'affichage ; en face, les tribunes aux noms évocateurs de Jean-Pierre Wimille, Robert
Benoist et Raymond Sommer. Tout ceci baigné par un soleil bienfaiteur et coutumier en ces lieux, dont les dieux
champenois nous ont gratifié pendant tout le week-end.
On peut dire que cette 3e édition du WEEA est une réussite, témoin les 30
000 visiteurs recensés par la préfecture ! Les amis du circuit de Gueux ont atteint leur
objectif : entretenir la légende du circuit en sauvegardant ses infrastructures.
Nous avons maintenant la quasi-certitude que ce patrimoine est sauvé, car la Commission
Régionale du Patrimoine et des sites a décidé son inscription à l'inventaire
supplémentaire des monuments historique.
Quel bonheur de contempler ces édifices tels qu'ils sont restés dans ma mémoire, (j'ai
assisté à mon premier Grand Prix de F1 ici même en 1963), alors que je les ai vus, il y a quelques
années, envahis par la végétation, semblant irrémédiablement condamnés.
On devinait planer l'ombre de « Toto Roche » sur le circuit !
Ce dernier retrouve son tracé d'origine, à l'exception des ronds-points installés
à chaque virage, et de la suppression du virage de Muizon. Des chicanes ont été
aménagées sur la ligne droite des stands. Dans la fameuse descente de « la
Garenne », qui n'est autre que la RN 31 maintenant dédoublée, les voitures de course ne
sont séparées de la circulation que par un muret central. Imaginez l'impression des automobilistes
limités à 90 km/h se faisant « décoiffer » par un bolide lancé
à 250 km/h !
C'est bercé par les mélodies de Charles Trenet et Frank Alamo bientôt couvertes par les
rugissements des moteurs de course que le 3e WEEA est lancé.
Les organisateurs ont eu la bonne idée de faire appel aux vedettes dès le début de la
manifestation. C'est ainsi qu'encadrés par quatre superbes « pom-pom Girls », Phil Read et
Giacomo Agostini (23 titres de champion du monde à eux deux) ont eu le privilège de nous faire vibrer au
guidon de leurs fabuleuses M. Agusta ; sans oublier le français Jean-François Baldé,
vice-champion du monde.
Après deux séries de motos, ce sont cinq séries de voitures qui suivront.
C'est au volant de la Rondeau- Inaltera victorieuse des 24 Heures du Mans 1980, que les deux Jean-Pierre,
Jabouille et Jaussaud se sont relayés. Lorsque nous avons demandé à celui-ci son âge, il nous
a répondu avec malice « 27 ans » !
À souligner la gentillesse de ces pilotes de haut niveau, qui répondaient volontiers aux
questions de leurs admirateurs en signant des autographes sans se faire prier.
Cette année, la thématique était axée sur les Jaguar, omniprésentes, parmi
lesquelles on distinguait les fameuses types C, D et XKJ9, qui se sont illustrées à plusieurs reprises aux
24 Heures du Mans et ici même lors des 12 Heures de Reims.
Les souvenirs de cette épreuve nous reviennent avec le son rauque d'une AC Cobra de 7 litres passant
devant les stands ; de même que les passes d'armes entre les F1 au cours des Grands Prix de l'ACF, ainsi que
les autres formules, lorsque le leader changeait plusieurs fois en un tour de circuit !
Parmi la centaine de véhicules présents, deux voitures ont retenu notre attention : une
Simca-Fiat 6 cv roadster sport fabriquée à Suresnes en 1935 et une barquette Simca-Fiat
« Autobleu » de 1949 sur base Simca 8. Ces deux véhicules ont participé à
plusieurs compétitions parmi lesquelles le Bol d'Or et les 24 Heures du Mans.
On notait également la présence de deux F1 : une Tyrrell de 1998 et une Jordan de 2002.
Leur mise en route s'est avérée laborieuse, on ne traite pas une F1 comme n'importe quelle autre voiture
de course !
Citons encore la présence de Bugatti, Alfa-Roméo, Maserati, Ferrari, Corvette, Mustang, la
Renault EF de 1911 du Général Joffre, la Techno et la Brabham F2 que respectivement les regrettés
François Cevert et Jochen Rindt ont fait triompher ici même à l'issue de duels épiques, comme
ce fut si souvent le cas sur ce circuit.
Lorsqu'on a demandé à Jean-Pierre Jabouille quel était le virage qui l'avait le plus
marqué, il nous a indiqué que c'était le virage du « Tillois » parce que
c'est là que ce joue souvent la victoire. En effet, le phénomène d'aspiration faisait que, bien
souvent, celui qui ressortait en tête de ce virage n'était pas le vainqueur ! Le suspens tenait alors
les spectateurs en haleine jusqu'au baisser du drapeau.
Comme l'ont dit de nombreux pilotes, Reims était un circuit d'homme. Juan-Manuel Fangio, qui a
débuté sa carrière en Europe ici même en 1948, sur Simca-Gordini (!) a déclaré
qu'il fallait écrire REIMS en lettres majuscules ! C'est à l'occasion de ce Grand Prix que l'immense,
le mythique Tazio Nuvolari courait son dernier GP, comme un passage de témoin. C'est également sur ce
circuit que J.M. Fangio mit fin à sa carrière en 1958.
Il fallait avoir un gros cœur pour négocier la fameuse courbe du calvaire « flat
out » car, en passant sous la passerelle Dunlop, un léger dos d'âne masquait toute
visibilité. Certains y ont laissé leur vie comme Luigi Musso en 1958. La contre-courbe à gauche lui
faisant suite porte le nom d'Annie Bousquet, première victime de ce virage en 1956. Jean-Pierre Beltoise a bien
failli subir le même sort en 1964, pendant la nuit des 12 Heures. C'est l'un des endroits les plus dangereux du
circuit. Ils sont huit pilotes au total à y avoir laissé leur vie.
Robert Manzon a été miraculeusement sauvé en sautant de sa Gordini juste avant que
celle-ci ne percute un pylône au bout de la ligne droite de La Garenne lorsque sa fusée avant gauche s'est
brisée, alors qu'il menait largement. En effet, après l'accident, on pouvait voir avec effroi que la
colonne de direction avait transpercé le siège du pilote ! Cette Gordini était présente
lors du meeting (voir photo).
Il faut noter que c'est un des premiers circuits équipé d'un hélicoptère
destiné à évacuer les blessés le plus rapidement possible. Tous ses virages étaient
pourvus d'une échappatoire.
Tout au long de ce magnifique week-end, il faut souligner l'excellente organisation et le souci permanent de
sécurité de la part des organisateurs. Un orchestre créait une ambiance joyeuse et conviviale.
Une vente aux enchères de voitures d'exception était organisée par Bonhams.
La patrouille de France de voltige aérienne nous a crédités de figures à nous
couper le souffle !
Un grand merci aux organisateurs, à Frantz Hummel, aux maisons de champagne Taittinger et Pommery, au
Conseil Général de la Marne, aux Amis du circuit de Gueux, à Françoise Conconi pour son
accueil, à Amanda pour son sourire.
Avec ce week-end de rêve, on ne peut s'empêcher de laisser voguer son imagination, et l'on se
plairait à voir surgir des pilotes encore de ce monde, vainqueurs de ce Grand Prix tel que Tony Brooks ou Sir
Jack Brabham au volant de leur Ferrari, Cooper ou Brabham ! On pourrait même y associer Sir Stirling Moss, le
roi sans couronne, vainqueur des 12 Heures de REIMS 1953, Jean-Pierre Beltoise qui avait gagné
« à la Behra » sur sa Matra F3, Jose Froilán González ou le marseillais
Robert Manzon, animateurs de nombreux GP, on atteindrait alors l'apothéose...
Nous sommes impatients de participer au 4e WEEA pour revivre ces instants indescriptibles, que
seules les personnes ayant connu ce circuit à son apogée, lorsque l'on parlait encore français dans
les stands, peuvent intégralement ressentir.
Raymond Roche, dit « Toto Roche », est la figure légendaire de ce circuit, un des
principaux instigateurs en 1926. Il en assura la direction d'une main de fer jusqu'aux derniers Grands Prix
disputés.
Texte et photos : Pierre Chrétien
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